Dans de nombreux domaines et secteurs économiques, on constate la présence de monopoles publics. Ceci est vrai pour les domaines régaliens (justice, santé, défense, éducation, culture, etc…) mais aussi dans des domaines classiques comme les transports les services de télécommunications, de l’électricité etc…Quelle rationalité pourrait expliquer la présence de l’État dans ces domaines ? Quelles règles de conduite seront adoptées ? Diffèrent-elles des règles examinées dans le chapitre 1 concernant les monopoles privés ?
Musgrave (1958) attribue à l’État moderne trois rôles essentiels. D’une part, un rôle de gendarme pour contrôler le bon fonctionnement des marchés. D’autre part, l’État doit assurer la redistribution des richesses dès lors que l’on suppose que le secteur privé ne permet pas d’assurer spontanément une distribution équitable des richesses créées. Enfin, l’État pourrait assurer la production de biens et services pour lesquels le secteur privé ne peut fournir une quantité optimale ou ne peut produire la quantité optimale de manière efficace. Ainsi, dans des domaines comme l’électricité, l’Eau, les transports, les services postaux, etc…des monopoles publics existent depuis toujours.
La vague de privatisation et démantèlement des monopoles publics à laquelle nous assistons depuis trois décennies ne les a pas fait totalement disparaître pour autant. Certes on assiste de plus en plus à une évolution du modèle du monopole public. L’État peut ouvrir le capital tout en demeurant actionnaire majoritaire. Ceci revient à passer d’un rôle d’actionnaire unique ou exclusif à un rôle d’actionnaire majoritaire (détention de 51% des actions).
Les préoccupations de l’État dans le cadre des monopoles publics sont relativement claires. En effet, l’État est tenu d’une part d’assurer une quantité importante (optimale) du bien ou du service fourni en pratiquant des prix relativement faibles. Ceci n’est pas le cas dans le cadre d’un monopole privé qui pourrait choisir de fournir une faible quantité afin de maximiser son profit. En même temps, l’État est contraint par des soucis d’efficacité et doit chercher à équilibrer ses comptes. Ainsi, il doit chercher à rentabiliser l’investissement public ou du moins à équilibrer ses comptes. Ceci explique pourquoi l’État qui cherche à atteindre son premier objectif n’a pas intérêt à pratiquer un prix nul. Ceci peut causer une distorsion forte dans le comportement des usagers, qui seront incité à surutiliser ce bien ou ce service et surtout peut amener des situations de déficits élevés dans les firmes publics. Ceci va à l’encontre des pratiques modernes de l’État.
Dans ce chapitre nous allons examiner de quelle manière l’État arrive à concilier ces deux objectifs en définissant des règles de gestion simples pour les monopoles qu’il contrôle et surtout en tentera de comprendre la rationalité économique qui amène l’État à contrôler certains monopoles.
2.2. Les règles de gestion des monopoles publics
Si l’on suppose qu’à travers le contrôle des monopoles l’État cherche à la fois de fournir une quantité optimale aux usagers à un prix raisonnable (contrainte d’accessibilité) tout en respectant la contrainte financière, trois règles de gestion sont couramment rencontrées. La première concerne la réglementation du taux de rendement. En d’autres termes, l’État cherche à définir un taux de profit pour la firme (jugé souhaitable) et l’oblige à le respecter. La seconde est une version particulière de la première où l’État oblige la firme à une gestion à l’équilibre. En d’autres termes, ceci revient à fixer le taux de rendement à zéro. Enfin, l’État peut chercher à maximiser le bien-être global et à fournir la quantité maximale en adoptant un schéma de tarification au coût marginal. Dans certains cas le profit peut s’avérer négatif à court terme en adoptant ce schéma de tarification. Ces règles ne sont pas uniques et d’autres motivations pourraient conduire à s’en écarter. Ainsi, si l’objectif d’un gouvernement dans la gestion des monopoles publics concerne l’innovation et les effets positifs de celle-ci sur le reste de l’économie, il pourrait alors ne pas tenir compte des objectifs de rentabilité et d’accessibilité des biens et services.
A – La réglementation du taux de rendement
Dans de nombreux cas et notamment en ce qui concerne les monopoles publics où l’État est actionnaire majoritaire, ce dernier doit veiller à la santé financière de l’entreprise et une juste rémunération des capitaux (publics et privés). Ainsi, l’État défini un taux de rendement jugé suffisant pour assurer le développement de l’entreprise et pour valoriser son patrimoine. Ce taux est en général inférieur au taux de rendement d’un monopole privé qui n’admet pas le souci de l’accessibilité. Cet objectif fixé a priori peut s’avérer difficile à tenir compte tenu des évolutions de l’environnement de l’entreprise et la variabilité des résultats.
À titre d’exemple, on peut examiner les fortes variations du profit de Gaz de France dans une période relativement courte et la difficulté de tenir un objectif de type un taux de rendement fixe.
B – La tarification au coût moyen (Gestion à l’équilibre)
La règle de gestion définie par une tarification au coût moyen consiste à annuler le surprofit des monopoles publics. Ainsi, cette pratique de la gestion à l’équilibre permet de concilier le souci de l’efficacité économique (contrainte financière) et le souci de l’accessibilité du bien aux consommateurs. Cependant cette stratégie souffre des mêmes difficultés quant à son application concrète par les entreprises publiques : son respect a posteriori.
C – La tarification au coût marginal
La tarification au coût marginal est une règle de gestion qui a le souci de l’accessibilité du bien aux consommateurs à un prix acceptable. L’équilibre financier est observé a posteriori et n’est pas fixé a priori. Cette règle permet de faire fonctionner un monopole public avec une règle de gestion appliquée par les firmes en situation concurrentielle.
2.3. La tarification au coût marginal
L’objectif du régulateur ici consiste à obliger le monopoleur de fournir une quantité importante du bien en s’assurant que pour toutes les quantités l’équilibre financier soit atteint. Ici, le monopole public fonctionne de la même manière qu’une concurrence pure et parfaite.
Cette règle de conduite revient à égaliser la recette moyenne (le prix) au coût marginal :
Exemple :
Supposant que la fonction de demande qui s’adresse à un monopole public est donnée par . La recette moyenne est égale ici au prix.
Son coût total est donné par : donc le coût marginal est de
La tarification au coût marginal consiste à égaliser le coût marginal à la recette moyenne.
La quantité d’équilibre est égal à 13,33 et le prix d’équilibre est de 73,3 et le profit est égal à :
2.4. La réglementation du taux de rendement.
Comme nous venons de l’examiner ici le taux de rendement du monopoleur est connu à l’avance. En d’autres termes, on fixe un taux de profit jugé naturel (non nuisible) et l’on si tient. Les recettes sont supérieures aux coûts d’un taux connu à l’avance.
Si le taux de profitabilité ou de profit est égal à , ceci revient à dire que ou encore on applique la règle
Exemple
Supposant que la fonction de demande qui s’adresse à un monopole public est donnée par . La recette moyenne est égale ici au prix.
Son coût total est donné par : donc le coût moyen est de
Supposons aussi que l’État impose que le taux de rendement soit égal à 5%.
ou encore
La quantité d’équilibre est égale à 19,26 et le prix d’équilibre est de 61,46 et le profit est égal à 56,68.
2.5. La gestion à l’équilibre
L’objectif du régulateur ici consiste à obliger le monopoleur de fournir une quantité élevée du bien tout en assurant son équilibre financier. Ainsi, le profit du monopoleur est nul.
Comme le profit se définit par l’écart entre recette totale et coût total. Cette règle revient à égaliser les recettes aux coûts totaux ou encore à égaliser la recette moyenne au coût moyen.
Ceci revient à appliquer la règle RM(q) = CM(q).
Exemple
Supposant que la fonction de demande qui s’adresse à un monopole public est donnée par . La recette moyenne est égale au prix.
Son coût total est donné par : donc le coût moyen est de
La gestion à l’équilibre revient à égaliser le coût moyen à la recette moyenne.
ou encore
La quantité d’équilibre est égale à 20 et le prix d’équilibre est de 60 et le profit est nul.
Rappel
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2.6. Le surplus des consommateurs
Si le souci de l’État en intervenant sur les marchés et notamment en gardant le contrôle des monopoles est le bien-être économique en général et celui des consommateurs en particulier on peut se demander de quelle manière mesure-t-on le bien être des consommateurs ou encore leurs gains à la suite d’un fonctionnement d’un marché donné.
La théorie du bien-être propose de fournir une démarche permettant d’appréhender la mesure du bien-être des consommateurs suite aux opérations d’échange sur le marché. La démarche est relativement simple. Elle consiste à supposer que chaque consommateur admet un prix de réservation ou encore un prix maximum auquel il est prêt à acheter le bien. Ce prix est confronté au prix du marché. Deux possibilités :
A – le prix de réservation est supérieur au prix du marché. Le consommateur peut alors se procurer le bien. Son gain net sur ce marché est mesuré par l’écart entre le prix de réservation et le prix de marché. Si un consommateur est prêt à payer 250 euros pour prendre un vol Nice-Paris (A/R) et constate que les compagnies pratiquent des promotions à 120 euros. Tout se passe comme si ce consommateur a épargné 130 euros, en raison du bon fonctionnement du marché.
Notons qu’en situation de monopole discriminant le monopoleur propose un prix par consommateur égal au prix de réservation de sorte que chaque consommateur admet un gain nul.
B – Le prix de réservation est inférieur au prix de marché. Dans ce cas, le consommateur est exclu de ce marché e aucune transaction n’est enregistré.
Le surplus des consommateurs est défini comme étant la somme des gains réalisés par l’ensemble des consommateurs dans un marché donné. C’est une évaluation en termes monétaires de l’utilité liée à la quantité de bien échangée, nette de la dépense. Plus le prix d’équilibre est faible et plus le surplus des consommateurs est élevé.
D’un point de vue technique, le surplus des consommateurs est donné par l’aire sous la courbe de la demande bornée par la droite horizontale définie au niveau du prix d’équilibre entre zéro et la quantité d’équilibre (cf schéma).
Le surplus des consommateurs est donné par l’aire hachurée en bleu. On remarque que, plus le prix d’équilibre est élevé et plus le surplus des consommateurs est faible (Animation ici).
2.7. Le surplus des producteurs
La théorie du bien-être fournit également une démarche qui permet d’appréhender la mesure du bien-être des consommateurs suite aux opérations d’échange sur le marché. La démarche est relativement simple. Elle consiste à supposer que chaque producteur admet un prix de réservation ou encore un prix minimum auquel il est prêt à acheter le bien. Ce prix est confronté au prix du marché. Deux possibilités :
A – Soit le prix de réservation est inférieur au prix du marché. Le producteur peut alors vendre le bien. Son gain net sur ce marché est mesuré par l’écart entre le prix de réservation et le prix de marché. Si un producteur de salades est prêt à vendre sa salade à 0,50 euros et constate que sur le marché les salades se vendent à 1 euro. Tout se passe comme si ce producteur a réalisé un gain de 0,50 euros, en raison du bon fonctionnement du marché. On ne doit pas confondre ces gains dûs au fonctionnement du marché avec les profits.
Notons qu’en situation de monopole discriminant le monopoleur propose un prix par consommateur de manière à maximiser ses gains.
B – Si le prix de réservation est supérieur au prix de marché, le producteur préférera de ne pas vendre.
Le surplus des producteurs est défini comme étant la somme des gains réalisés par l’ensemble des producteurs dans un marché donné. C’est une évaluation monétaire de la profitabilité des entrepreneurs. Plus le prix d’équilibre est élevé et plus le surplus des consommateurs est élevé.
D’un point de vue technique, le surplus des producteurs est donné par l’aire sous la droite horizontale définie au niveau du prix d’équilibre et la courbe de coût marginal entre zéro et la quantité d’équilibre (cf schéma).
On peut constater que SP(q) = profits + CF
Le surplus des producteurs est donné par l’aire hachurée en rouge. On peut constater que plus le prix d’équilibre est élevé et plus le surplus des producteurs est élevé.
2.8. Le surplus social
La théorie du bien-être définit le bien-être social comme la somme des surplus des consommateurs et de celui des producteurs diminués par le coût des interventions publiques. Ainsi, une structure de marché est efficace lorsqu’elle permet de maximiser le surplus social.
Le surplus social correspond ainsi à la somme des gains réalisés par les producteurs et les gains réalisé par les consommateurs.
D’un point de vue technique, le surplus social est égal à :
Le surplus social est donné par l’aire hachurée en vert.
2.9. Tarification au coût marginal et maximisation du surplus social.
La maximisation du surplus social implique de maximiser l’expression suivante :
Ceci revient à égaliser p(q) = Cm(q).
Ainsi la tarification au coût marginal, qui permet d’égaliser l’offre à la demande, coïncide avec la maximisation des profits. Si le critère de choix de l’intervention publique est la maximisation du bienêtre social alors la règle de la tarification au coût marginal s’impose.